كلمة النائب سامي الجميّل في المعهد الكاثوليكي للتعليم العالي حول موضوع "المصارحة والمصالحة بعد الحروب" في فرنسا

  

Je voudrais d’abord remercier l’Institut Catholique d’Enseignement Supérieur (ICES), Monsieur le Président, tous ceux qui ont fait que je me trouve ici aujourd’hui. Ce sera pour parler d’un sujet qui m’est extrêmement cher, et ce devant une audience avertie, devant des Vendéens qui ont eu beaucoup à subir, et qui ont une mémoire collective encore très vive, qui sont passes par des périodes très difficiles. C’est très gratifiant de pouvoir parler devant vous, c’est un grand honneur.

 

Si nous remontons dans le temps, et que on regarde les trois religions monothéistes qui sont aujourd’hui présentes sur la scène internationale et surtout politique, nous pouvons y trouver le pardon: que ce soit dans la religion juive, avec le « Yom Kippour », le jour du Grand Pardon, que ce soit en Islam  où on dit, dans ce qu’on appelle « Assira », c’est-à- dire l’histoire du Prophète, que le Prophète demandait pardon à Dieu 70 fois par jour. Si l’on penche sur la religion chrétienne: en tant que chrétien, chaque soir avant de dormer, quand je veux prier, je prononce deux fois le mot pardon, puisque pour prier, nous disons: “Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés” ; ainsi rien que dans cette prière que nous disons tous les soirs, le mot pardon est présent deux fois.

Pour nous, le pardon a deux sens : Il y a le pardon individual, et il y a le pardon collectif. Je vais essayer, en tant que libanais, de parler de ces deux expériences, de l’expérience collective et de l’expérience individuelle du pardon.

 

Le pardon collectif, c’est celui qui aurait dû être présent après la guerre du Liban, et que nous cherchons toujours. Malheureusement, les circonstances historiques, que je vais retracer rapidement, on fait que, jusqu’à aujourd’hui les libanais n’ont pas pu tourner la page de la guerre, pour la simple raison qu’ils ne se sont pardonnés.

Je vais commencer par parler rapidement de la guerre du Liban, parce qu’il est important de l’évoquer. La guerre du Liban est une conjugaison de facteurs internes: des dissensions inter libanaises et de tous les intérêts des puissances regionals, qui sont aussi entrés dans l’équation. C’est donc une conjugaison de facteurs internes et externes qui ont conduit le peuple libanais, formé de dix-huit communautés,- ce qu’on appelle les communautés historiques-, à s’entre-tuer. Beaucoup d’armées étrangères se sont également entre-tuées au Liban: l’armée syrienne y était présente, l’armée iranienne, l’armée israélienne; très rares sont les armées de la région qui n’ont pas mis les pieds chez nous pendant cette guerre de quinze ans.Cette guerre a été, de toutes parts, le théâtre d’atrocités.

Chacun voyait la vérité sous son angle, personne n’essayait de comprendre les motivations de l’autre pour tenter d’arrêter le bruit des canons. Il y avait donc un grand problème de compréhension et de dialogue: nous n’avons pas réussi à régler pacifiquement nos problèmes. Notre système politique était défectueux; notre capacité à discuter entre nous pour résoudre nos problèmes, à laisser les institutions être arbitres entre nous, était également défectueuse. Nous sommes donc entrés dans une guerre de quinze ans, chacun avec beaucoup d’arguments,  beaucoup de raisons;  avec le recul, lorsqu’aujourd’hui nous examinons toutes ces raisons, nous pouvons dire que chacun détenait une partie de la vérité. Cette guerre s’est terminée d’une façon soudaine, le 13octobre 1990. C’est l’armée syrienne qui va mettre fin à la guerre du Liban, en mettant la main sur l’ État libanais. Elle installe une occupation qui va durer quinze ans jusqu’en 2005. Et d’un seul coup, le Liban va tourner la page d’une guerre de quinze ans, qui a vu 150.000 morts, qui a vu des massacres, des atrocités. Cela va se faire du jour au lendemain, et chez les Libanais, sans aucun travail sur soi.

J’ai pu lire que l’expérience de l’Afrique a été évoquée en mon absence, et c’est ce qui a manqué cruellement aux Llibanais après la guerre, une commission Truth and Reconciliation, « Vérité et Réconciliation ». 

 

Le pardon est le résultat d’un processus, il n’en n’est ni le début, ni le milieu. Il ne peut être évoqué qu’après un grand travail de réflexion, un travail de compréhension mutual, de vérité, de recherché, d’autocritique de la part de chacune des parties impliquées dans le conflit. Tout ce travail n’a pas du tout était fait. Les Syriens étaient très pressés de tourner cette page et de laisser, comme on dit, les choses en l’état,  pour qu’à n’importe quel moment, quand le régime syrien aurait besoin d’embraser à nouveau la situation, les esprits soient prêts à rallumer les feux de cette guerre. Les syriens n’avaient donc aucun intérêt à ce que le peuple libanais se réconcilie avec lui-même. Ils voulaient garder cette guerre pendante, que les choses restent en l’état, afin de pouvoir jouer le rôle d’arbitre, le rôle d’un grand frère: entre des petits enfants qui se chamaillent tout le temps, le régime syrien serait l’arbitre, le père, celui qui viendrait résoudre les problèmes. 

 

Nous avons donc tourné cette page en 1990. Ce fut, pendant quinze ans, ce qu’on appelle la paix syrienne. Ceux qui ont payé le prix de cette paix sont les chrétiens du Liban, qui ont été, durant toute cette période, évincés de la vie politique. Certains leaders politiques ont été exilés en France, comme le général Aoun et le président Gemayel. Certains ont été mis en prison, comme le docteur Samir Geagea. Certains partis ont été, dirons-nous, mis en quarantaine, par exemple le parti du président Chamoun. Toutes les forces politiques chrétiennes traditionnelles ont été mises de côté à cette époque là, et l’on peut  vraiment considérer que la page de la guerre a été tournée aux dépens des chrétiens.

Cette page a été tournée en 1990 par ce qu’on appelle les accords de Taëf.  Je voudrais vous en dire deux mots, parce qu'ils sont tout ce qu’il ne faut pas qu’un pardon soit. Ces accords ont été un vraie catastrophe. C’était un theater, une mise en scène, qui a voulu faire croire au monde que les Libanais s’etaient assis ensemble pour  réfléchir à des réformes constitutionnelles, pour essayer de sortir de la guerre civile, alors qu’en réalité, ils n’étaient que figurant dans cette pièce de théâtre écrite par les forces regionals: le régime syrien, l’Arabie saoudite, les Américains; toutes ces puissances étaient en effet partie prenant dans cette pièce qu’étaient les accords de Taëf, accords qui ont tourné la page de la guerre du Liban d’une façon complètement insuffisante et illogique.

Nous avons vécu pendant quinze ans, de 1990 à 2005, sous la paix syrienne, sans conflit entre Libanais, sans crise politique: à chaque fois que surgissait la moindre amorce de crise, les Syriens agissaient immédiatement pour résoudre les problèmes. En 2005, les Syriens se sont retirés du Liban sous la pression internationale et celle du peuple libanais- ce qu’on appelle la Révolution du Cèdre, et l’arbitre, le grand frère, a disparu, et là, tout ce qu’on n’avait pas ete  résolu en 1990 a resurgi. C’était comme si ces 15 années n’avaient jamais existé; comme si les libanais venaient de sortir de la guerre. Les tensions n’ont jamais été aussi présentées qu’elles ne le sont aujourd’hui, les crises politiques se succèdent, avec un manque de confiance absolu des uns envers les autres.Cela permet de se rendre compte à quel point nous avions besoin d’une vraie reconciliation, d’un vrai pardon, parce que le processus de réconciliation suivi d’un pardon est la condition sine qua non d’un regain de confiance. La confiance! On ne peut pas rebâtir une société sans la confiance des uns envers les autres. Et pour pouvoir rebâtir cette confiance, on a besoin de passer par un processus de vérité, un processus de remise en question, un processus d’autocritique qui sera suivi d’un pardon; une fois qu’on se sera pardonné mutuellement, alors seulement on pourra avoir confiance les uns envers les autres.

 Le pardon ne peut pas être unilateral. Il doit être le fruit d’une action collective, bilatérale, avec ce qu’on appelle l’égalité. La France parle de fraternité et d’égalité,  et de liberté bien sûr: l’égalité est une condition sine qua non pour pouvoir bâtir une société saine, qui a confiance en elle – meme. Aujourd’hui, nous considérons que le fait qu’il n’y ait pas eu ce processus de réconciliation, qu’il n’y ait pas eu ce pardon, empêche toujours la confiance d’être présente entre les Libanais, et nous n’arrivons toujours pas à bâtir notre pays sur des bases saines.  Il n’est jamais trop tard pour bien faire, on peut toujours commencer ce travail, qui est une nécessité: nous n’arrivons toujours pas à écrire un livre d’histoire! Nous sommes en 2014, et la guerre est terminée depuis 24 ans et le Liban est sans livre d’histoire; nos étudiants, nos écoliers ne peuvent pas étudier l’histoire de notre pays, parce que nous ne sommes pas d’accord sur une vision commune de l’histoire. Nous ne sommes pas capable d’écrire un livre d’histoire: un peuple qui en est là, ce n’est pas un peuple capable de bâtir une société saine, de bâtir un avenir; si on n’a pas d’histoire, on n’a pas d’avenir.

Il y a eu pourtant des initiatives. Je vais en évoquer quelques-unes, mais ce furent des initiatives bilatérales, pas étatiques, pas officielles. Le parti Kataëb auquel j’appartiens, comme le président Gemayel, a eu  trois initiatives importantes depuis l’an 2000. Cette année- là, nous avons travaillé sur une réconciliation avec le leader des Druzes au Liban, M.Walid Joumblatt; Nous avons réussi à rédiger un texte en commun, au bout de nombreuses réunions et de va-et-vient, texte qui pourrait être le début d’une reconciliation, mais nous ne pensons pas bien sûr que ce soit suffisant. Notre deuxième initiative a été un séminaire sous le titre de la vérité et de la reconciliation, avec les organisations palestiniennes que nous avons combattus pendant  quinze ans durant la guerre. Cela a eu lieu en 2008 dans nos bureaux à Beyrouth.Ce fut un travail très important. Il y a eu un vrai travail d’autocritique de la part des deux partis; chacun a dit à l’autre quelles étaient les erreurs stratégiques commises; et je pense que c’est l’expérience la plus réussie des vingt-cinq dernières années. Notre troisième initiative fut une réconciliation avec M. Frangié, le leader d’un parti chrétien avec lequel nous avons eu de gros problèmes durant la guerre. Cette reconciliation, elle aussi, a été le fruit d’un grand nombre de réunions et de beaucoup de travail. Mais cela reste des initiatives bilatérales, insuffisantes pour bâtir une société. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est d’un vrai processus étatique,  d’une vraie initiative de l’État libanais, qui prenne les choses en main. Le peuple libanais doit se dire: il est temps de bâtir notre société sur des bases saines, il est temps de sortir tout ce qui nous reste sur l’estomac, il est temps de dire quelles sont nos peurs les uns vis-à-vis des autres, quelles sont nos ambitions, quelle est notre vision du pays, de nous rendre compte sur quells points nous sommes d’accord ou non, de nous dire: si on a besoin de réformer le système politique, réformons-le. Tout ce qui peut aider à accéder  de nouveau à une confiance entre les Libanais, tout ce qui peut les aider à sentir que personne n’est entrain d’essayer de prendre leur place, sera bienvenu, si nous voulons vraiment bâtir au Liban un État moderne et une paix durable. Malheureusement aujourd’hui, chaque communauté considère que l’intérêt des autres, passe par l’éviction de ses intérêts à elle.Chacun a peur d’accepter des concessions, chacun a peur de l’autre. Cette peur les uns des autres ne peut être dépassée qu’à travers ce processus de réconciliation et de vérité.

 

Le president de séance m’a demandé de parler un peu de mon expérience personnelle, ce que je n’envisageais pas du tout  au depart. Mais étant donné que nous avons évoqué le pardon individuel, il est important de parler rapidement de ce que quelqu’un comme moi peut penser et ressentir. J’ai perdu cinq membres de ma famille: mon cousin germain, âgé de 18 ans, mort sur le champ de bataille; un autre cousin de 21 ans mort également sur le champ de bataille; ma cousine Maya de 2 ans et demi, morte dans un attentat qui visait son père, mais il n’était pas dans la voiture, c’était elle qui y était; un an plus tard, en 1982, ce fut le tour de son père, mon oncle, Bachir Gemayel, d’être victime d’un attentat à la bombe; et en 2006, c’est mon frère, Pierre, alors ministre, qui sera également la cible d’un attentat, en plein milieu de Beyrouth. Pour vous dire la vérité, cela n’a fait que renforcer ma détermination à combattre pour un Liban moderne, pour un pays de paix et de liberté. Le Liban est une exception dans la région: c’est une démocratie, c’est un pays de liberté: nous jouissons de la liberté de la presse, de la liberté de religion, d’une constitution civile sans aucune référence à la religion, à Dieu, et c’est la seule constitution de pays de la région du Moyen-Orient n’ayant aucune référence religieuse. Cela est dû au fait que les libanais considèrent le Liban comme un pays refuge pour toutes les personnes persécutées de la région. Toutes les communautés persecutées qui ont cherché un endroit où se réfugier et préserver leur liberté de culte, l’ont trouvé dans notre pays. Ce petit pays,cette montagne- je parle de la montagne parce que c’est grâce à la géographie montagneuse du Liban que ces communautés ont réussi à se protéger de toutes les invasions et de toutes les tentatives d’extinction auxquelles elles ont été confrontées-, c’est une cause pour laquelle je suis prêt à donner ma vie, et je sais que ceux qui m’ont précédé l’ont fait. Parce que pour nous, être libanais, ou chrétiens libanais, ce n’est pas seulement avoir une certaine foi, c’est aussi et surtout porter des valeurs que nous considérons être les valeurs qui sont aujourd’hui des valeurs, que nous considérons comme tells, et qui sont aujourd’hui les valeurs européennes, les valeurs françaises: les droits de l’homme, le respect de l’autre, la liberté, l’ouverture, l’acceptation de l’autre tel qu’il est, le pardon; toutes ces valeurs que nous défendons aujourd’hui au Liban, nous les considérons comme des valeurs importantes à defender, non pas en France, non pas en Europe, non pas aux États-Unis, mais dans l’une des régions les plus confrontées à la violence, les plus dures, les plus difficiles à gérer, le Moyen-Orient. Avoir un havre de paix et de liberté au Moyen-Orient, cela vaut tous les sacrifices du monde. C’est pour cela qu’en tant qu’individu, je n’accuse personne, je n’ai de rancune envers personne. Je sais que les membres de ma famille défendaient une cause, et le seul moyen de pouvoir vivre en paix avec moi-même, c’est de continuer à défendre cette cause, pas parce que c’est une cause dont j’ai hérité, mais parce que défendre la liberté, défendre l’ouverture, défendre la paix, défendre le respect de l’autre et le respect de la difference, le multiculturalisme, c’est une causequi est juste, noble, et le fait de continuer à la défendre est pour moi la façon de vivre en paix avec moi-même et de ne pas succomber à toutes les tentations de vengeance, de violence parce que je suis chrétien, et la vengeance n’existe pas dans mon échelle de valeurs. Se defender, oui, mais se venger, non; défendre sa maison, se défendre si l’on est aggresse, oui,  on en a le droit, mais se venger, non. J’ai voulu donner ce petit témoignage devant vous pour vous raconter quelque chose de ce petit pays qui s’appelle le Liban, dont vous entendez parler parfois, pour vous dire que nous avons énormément de respect pour vous, énormément de respect pour tous les Vendéens. Nous savons que la Vendée garde le Liban dans son cœur parce que nous avons beaucoup d’amis vendéens et nous savons la place qu’occupe le Liban pour vous.

Je voudrais vous remercier de tout coeur de m’avoir permis de prendre la parole devant vous.

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